Même Luc, qui manifestement fait tout pour atténuer les oppositions entre les apôtres, par exemple entre Pierre et Paul (comparer entre eux les Actes et l'épître aux Galates), est bien obligé de raconter longuement en Actes 21 la vive discussion qui éclate entre Jacques et Paul ; celui-ci, selon Luc, aurait reçu, sans répondre, les reproches de la communauté de Jérusalem. Si cela paraît peu vraisemblable, il est facile de soupçonner derrière le récit des Actes une sévère empoignade, trop publique et trop connue pour que Luc puisse la passer sous silence 3. Parmi les reproches ici formulés, on accuse Paul de détourner de Moïse les Juifs devenus chrétiens, et de ne pas obliger les païens convertis à suivre les décisions de l'Assemblée de Jérusalem (voir Ac 15,29). Manifestement pour conduire les chrétiens, qu'ils soient d'origine juive ou d'origine païenne, un fossé existe entre Jacques et Paul. Chacun des deux va essayer de thématiser sa position. Paul, sans doute en prévision de cet affrontement qu'il redoutait avec la communauté de Jérusalem, comme en témoigne Rm 15,30-31 (priez "afin que le secours que j'apporte à Jérusalem soit bien accueilli..."), a préparé d'avance sa défense, en écrivant aux Romains. Selon plusieurs exégètes, à travers l'épître aux Romains c'est la communauté de Jérusalem qui serait visée (voir E. Fuchs, Hermeneutik, 1963, p. 191 ; J. Jervell, "Der Brief nach Jerusalem", ST 25 (1971) 61-73 ; "The Letter to Jerusalem" dans The Romans Debate, 1991, p. 53-64). Ce subtil jeu de billard, où Rome sert de bande apte à renvoyer la boule avec une force accrue en direction de Jérusalem, tout cela n'aura servi à rien. Aujourd'hui plusieurs spécialistes de Paul estiment que celui-ci, loin de connaître par sa prédication et par ses lettres le succès qu'on imaginerait facilement, serait allé d'insuccès en échec, se heurtant partout aux judaïsants, ainsi qu'aux judéo-chrétiens représentés spécialement par Jacques et sa communauté.