Certaines cohérences théologiques se laissent découvrir dans tel ou tel évangile. Par exemple chez Marc, sans négliger l'importance de la résurrection, tout est enraciné dans la croix comme lieu de révélation de l'être profond de Jésus, Messie et Fils de Dieu. Il se révèle, non pas comme quelqu'un de puissant, de glorieux, mais plutôt comme quelqu'un qui aime tellement les hommes qu'il respecte même leur volonté mauvaise et qu'il s'abaisse devant ses ennemis. La révélation du Fils de Dieu entraîne la révélation de Dieu lui-même. Si le Père est semblable à son Fils, alors le chemin qui conduit à lui ne peut être déterminé par une loi, un temple, un peuple, il sera un chemin de pardon et de foi ouvert à tous et partout. C'est seulement autour de cette figure divine et de cette foi qu'une communauté pourra se rassembler pour vivre à l'imitation de son Sauveur.
D'autres évangiles pourront présenter aussi une grande cohérence. Selon une autre présentation le Christ de Matthieu est reconnu comme celui qui incarne la nouvelle loi, reprenant, prolongeant et accomplissant l'ancienne. Dieu, juste et compatissant, jugera les hommes en fonction de cette nouvelle loi, qui sert de charte de fondation pour la nouvelle communauté et l'agir chrétien. Cependant dans cet évangile il y a comme une tension sur le point d'éclater entre la tendance que nous venons de souligner et la présence d'un long récit de la passion, où avec le Christ la Loi est crucifiée. Cependant rien n'est résolu, et certaines affirmations chez Matthieu s'opposent d'un courant à l'autre (comparer par exemple Mt 10,5 et 28,19). Luc est sans doute moins cohérent que les deux autres synoptiques : il donne l'impression d'emprunter des idées tantôt d'un côté, tantôt de l'autre. Ce faisant il a peut-être sauvé l'unité d'une Église divisée entre des tendances opposées.
Entre ces théologies faut-il choisir et comment choisir? Laissons de côté le vieil adage "choisir, c'est être hérétique", comme si ce n'était pas la loi nécessaire de toute liberté : le Christ a choisi, les évangélistes ont choisi, l'Église au cours des siècles n'a cessé de choisir. Seules les pierres ne choisissent pas. Ce qu'il faut éviter, c'est de refuser de choisir, ou bien de tout prendre indistinctement, ou bien de s'établir entre deux théologies, ou de faire un amalgame, ou un compromis, ou de choisir à cause de préjugés ou de sentiments.