Procréer c'est prendre conscience qu'on est mortel. Derrière les images du mythe une réelle cohérence est perceptible.
D'autres expressions du texte peuvent aussi être interprétées selon un contenu symbolique similaire. N'est-il pas courant de voir à travers le serpent rusé et le fruit cueilli des images qui correspondent à l'union du couple ? Le thème du serpent, tout en étant ouvert à des significations évoquant les cultes idolâtriques de fécondité, est interprété par Philon comme le symbole du plaisir (Leg. Alleg., 2,74).
Pour l'allusion au talon, en Gn 3,15, il ne faudrait pas se contenter de l'opposer à la tête du serpent. En effet le langage métaphorique des parties du corps en hébreu peut réserver des surprises. En Jr 13,22 les "talons" désignent ce qu'il y a de plus intime chez la femme : "A cause de ta grande perversité, on retrousse ta jupe, et tes talons sont violentés". C'est sans doute en utilisant tous ces rapprochements, ces transferts et ces symboles qu'on pourra commencer à déchiffrer les significations entremêlées de ce texte de Gn, où à travers la description voilée de ces blessures nobles et intimes on constate que le rapport homme-femme commence sous le signe du sang, avant de se prolonger par les difficultés de la maternité et la peine du travail.
Dans ce mythe la vie et la mort occupent une place privilégiée, de telle sorte qu'une anthropologie centrée sur l'immortalité d'Adam va se développer dans la Bible (Sg 2,23-24; Rm 5,12). De soi, l'interdiction de manger de l'arbre de la connaissance du bon et du mauvais sous peine de mort (2,17) pourrait seulement indiquer qu'il s'agit d'un décret royal obligatoire sous peine d'un châtiment capital, cependant l'insistance sur la mort semble insinuer que celle-ci dans la nature humaine est la punition de la désobéissance (3,19), de sorte que l'accès à l'arbre de vie devient impossible (3,24). Il faut se garder d'atténuer ces représentations pour les harmoniser avec nos connaissances biologiques. Il est préférable d'analyser l'anthropologie sous-jacente à ces représentations mythiques.