Pour la philosophie moderne il est normal de voir dans l'homme un être pour la mort ; pour les auteurs de la Genèse l'homme est fait pour la vie ; la mort n'est qu'un accident ! Ou plutôt l'homme qui fait l'expérience de ce mythe de Gn 2 - 3 sent qu'il est fait en même temps pour la vie et pour la mort, et qu'il n'est pas lui-même la solution à cette contradiction insoluble. Qui va l'emporter : le désir viscéral de Vie, ou la mort inéluctable ? Présenter les choses ainsi, c'est déjà inscrire dans le texte une espérance étonnante ; c'est sans doute en fonction de cette interprétation qu'on peut déceler dans cette page une grande ouverture prophétique.
Évidemment notre texte prend la suite des grands mythes babyloniens où l'on décrit l'homme à la recherche d'une plante de Vie ; il rencontre bien une aide, mais dans ces récits ce n'est qu'une prostituée ; il se heurte à la fourberie ou à la mauvaise volonté des animaux et des dieux. Cette quête de l'homme est aussi profonde que tragique : à juste titre, elle est reprise par Gn qui aménage et complète le mythe. L'aide devient une épouse qui est l'égale de l'homme. Il ne faudrait pas pour autant nier qu'il y ait ici une certaine dépréciation de la femme (qui sera exploitée plus tard par 1 Tm 2,13-15) : elle vient en second ; elle est tirée de l'homme ; c'est elle qui succombe la première. Dans cette perspective Philon l'assimile à la sensibilité, et Adam à la raison ; tout cela correspond à l'anthropologie de l'époque ; on ne peut tirer de ces considérations enracinées dans la culture du moment aucun enseignement, tandis que la complémentarité et l'égalité de la femme par rapport à l'homme constituent des progrès explicites par rapport aux mythes anciens. Pour illustrer la présence d'Ève au côté d'Adam on peut penser aux nombreuses statues égyptiennes représentant avec réalisme et tendresse un couple humain, où la femme se tient respectueusement à côté de son mari.
Ce récit mythique a-t-il pour fonction de nous révéler une faute morale de la part de ce couple, même si on laisse en retrait la question du "péché originel" ?