2) La deuxième question est plus délicate. Concernant Dieu y a-t-il, entre les données de l'Ancien Testament et Jésus, continuité ou nouveauté ? On sait comment l'A.T. décrit la mise en présence de Dieu et d'Israël, leurs rapports difficiles et tumultueux. Parti d'un Dieu parmi d'autres, d'un Dieu qui assume et reflète l'esprit guerrier et vengeur d'un Israël primitif, on parvient à des rapports de confiance et d'amour avec promesse de salut. Confusément, le Dieu de celui qui écrit les poèmes du Serviteur souffrant et de celui qui décrit le sort du Roi-Pasteur de Zacharie porte nécessairement quelques reflets correspondant au destin de son envoyé ; ici quelque chose est en train de basculer dans l'idée que l'auteur se fait de Dieu. Dans ce contexte, où les rapports entre Dieu et Israël sont comparés à ceux d'un Père, d'un fiancé, d'un époux, voire même d'une mère, on pourrait penser qu'il n'y a plus rien à ajouter : tout ce qu'on rencontrera dans le N.T., y compris son insistance sur la paternité de Dieu, ne se trouve-t-il pas déjà ici ?

En réalité, le rapport décrit par ces images est ambigu ; l'amour d'un père, d'une mère, d'un mari, spécialement à cette époque, est paternaliste, possessif, dominateur. A cette époque comparer l'amour de Dieu à l'amour d'une épouse, soumise et obéissante, ne viendrait à l'esprit de personne.

Il fallait que Jésus, en dévoilant son rapport avec son Père, fasse avancer cette révélation, et montre que l'amour du Père pour Jésus et les hommes, loin d'être possessif, était entièrement et totalement désapproprié. Certes la révélation du N.T. se situe dans la perspective ouverte par l'A.T., mais en même temps entre ces deux "nuances" d'amour il y a un abîme, l'abîme qui sépare la foi de la religion (celle-ci étant la recherche du Dieu tout-puissant par l'homme, celle-là la recherche de l'homme par un Dieu très humble. La présence ou l'absence de médiations en découle directement, ce qui constitue un point fort qui permet de différencier concrètement la foi et la religion).